ÉCRITURES DE LA MUSIQUE
  I  Visibilité de la musique  I  Écriture de la musique, musique et parole  I
I  Projets programmés  I
    
Notation byzantine, XXe siècle; voir Cahier, en construction

Cette section cherche à approfondir la problématique de l’écriture et de l’image en l’étendant à l’écriture musicale.

L’écriture suppose une conception des relations réciproques entre langage et visible : d’un côté la surface, organisée en espace cohérent et homogène, donc symbolique, devient susceptible d’accueillir des figures ordonnancées les unes par rapport aux autres, qui, dans le vide ainsi dégagé, peuvent devenir le lieu d’une architecture syntaxique, articulé à partir d'éléments métériels visibles ou audibles, acquiert alors la possibilité de devenir visible. Parmi toutes les écritures imaginées par les hommes, l’écriture alphabétique suppose une analyse particulière du langage, privilégiant sa dimension sonore, parlée, extérieure au monde visible.

Qu’en est-il de la volonté de rendre visible le sonore ? Pourquoi vouloir le rendre visible ? Comment le monde sonore, dans sa complexité et sa richesse potentielle est-il lui-même compris dans sa relation au langage, dont la dimension sonore est réelle tout en étant mise en avant de façon variable selon les systèmes d’écriture ?
L’analyse de l’écriture du sonore, dans ses liens complexes avec le langage, peut alors aider à approfondir l’imaginaire de la nature du support comme de la figure, de leur relation, ainsi que la conception du verbe, donc du monde, qui en est le point de départ. Il ne s’agit donc pas d’évaluer le système de signes élaborés pour visualiser la musique (Goodman), mais de s’interroger sur les choix métaphoriques qu’il suppose, et sur la définition même de « la musique » qu’il met en œuvre, par rapport à celle de la parole sonore et articulée trouvant l’une de ses origines, son origine physique, dans le corps de l’énonciateur. L’imaginaire de la limite et des échanges entre l’organisation instrumentale du sonore et celle des différentes possibilités énonciatives du langage deviennent un point crucial de questionnement.

Les travaux de ce pôle cherchent à comprendre les enjeux conceptuels et culturels de la démarche qui consiste à dégager une entité qui pourrait s’appeler « musique » et à vouloir la rendre visible. Ils s’orientent dans deux directions :

  • la visibilité de la musique dans ses liens avec les conceptions de l’image et de la parole
  • la définition de la musique dans ses liens avec l’écriture de la parole.

 

Visibilité de la musique

La comparaison des notations byzantines et romaines de la musique laisse entrevoir une pensée différente du support appuyée par une élaboration théologique très complexe des relations entre invisible et matière. La notation romaine, accordant dès ses origines carolingiennes une place importante à la notion de hauteur, suppose en effet l’établissement d’une homologie entre le corps, lieu d’appréhension de la métaphore spatiale de la hauteur et la page, qui devient alors orientée de haut en bas, et susceptible de recevoir une graduation mathématique (notation arezzienne). La notation byzantine en revanche, refusant cette homologie, jusque dans ses développements contemporains, refuse également la possibilité ainsi ouverte d’un prolongement matériel de la parole dans l’instrument : la corporéité de celui qui parle est posée dans son irréductibilité, par rapport à la matérialité du papier. La notation musicale occidentale a de même élaboré très tôt le concept de note (punctum), concept que refuse par exemple la notation byzantine, et qui, élaborant un rapport complexe à l’idée d’unité, trouvera des prolongements jusque dans le pixel. Comprendre la nature de ce support permet aussi de situer les nouvelles images du sonore, de l’oscilloscope aux sonagrammes, assimilant la parole au sonore.

Comprendre les conceptions différentes de la visibilité du sonore amène donc à questionner des orientations culturelles très profondes.



Écriture de la musique, musique et parole

Penser l’écriture de la musique suppose de comprendre comment l’objet « musique » est défini par rapport à la parole, et comment la visibilité de l’une s’articule à la visibilité de l’autre. La parole peut aussi bien être comprise comme faisant partie de la « musique », que comme son autre. C’est dans cette tension que s’articulent l’écriture de la musique et celle de la parole : la question de  leurs limites respectives, celle de leur hétérogénéité, est culturellement déterminée.

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Bibliographie indicative :

  • Michel Banniard, Viva voce, communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, Institut des Etudes augustiniennes, Paris, 1992
  • Marie-Noëlle Colette, Marielle Popin et Philippe Vendrix, Histoire de la notation musicale : du Moyen Age à la Renaissance, Paris, Minerve 2003
  • Marie-Elizabeth Duchez, « Des neumes à la portée, élaboration et organisation rationnelle de la discontinuité musicale et de sa représentation graphique, de la formule mélodique à l’échelle monocordale », Revue de musique des universités canadiennes, 4, 1983, p. 22-65
  • Id, « La représentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l’élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale », Acta musicologica, volume 51, Janv-juin 1979, p. 54-73
  • Id, « la représentation de la musique : information d’action et expression structurelle dans la représentation de la musique occidentale traditionnelle », in Actes du XVIIIe Congrès des Sociétés de Philosophie de langue française, Strasbourg, juillet 1980, p. 177-182
  • Id, « Description grammaticale et description arithmétique des phénomènes musicaux : le tournant du Ixe siècle », in Sprache und Erkenntinks im Mittelalter, Miscellanea Medievali, Thomas Instituts des Universitäts zu Köln, XIII/2, p. 561-579
  • Id, Elaboration et organisation rationnelles de la discontinuité musicale et de sa représentation graphique, Actes de la Table ronde du CNRS à l’IRHT, 6-7 sept 1982, études rassemblées par Michel Huglo, Champion, Paris, 1987, p. 57-60
  • Malcolm Beckwith Parkes, Pause and effect, an introduction to the history of punctuation in the West, Berkeley, University of California Press, 1993
  • Jean-Baptiste Thibaut, Origine byzantine de la notation neumatique de l’église latine, Hildesheim-New York, 1975 (rep. )
  • Peter G. Jeffrey, «La transmission orale et écrite : l’exemple du chant byzantin », in Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, Jean-Jacques Nattiez dir. Paris, Actes Sud-Cité de la musique, 2007, Tome V, p. 550-576
  • Paul Klee, Cours du Bauhaus, 16-1-1922, Claude Riehl trad., Paris, Hazan, 2004

 

Projets programmés

  • journée d’étude 4 septembre 2008  Paris VII
     « Ponctuation, notation musicale : une origine commune ? »
    La ponctuation note, dans l’écriture occidentale, les intonations de la voix. Elle ajoute un élément sonore par rapport à la transcription alphabétique, elle-même déjà sonore. La notation musicale a la même fonction, et est apparue à peu près au même moment (autour du VIIIe siècle), et mis beaucoup de temps à désigner la « musique », art des sons, distinguée de la parole, et surtout de la « musica » médiévale, manière de dire un texte, déclamation, indissociablement pensée comme parole ou musique. La notion de hauteur, à l’origine métaphore visuelle élaborée par l’analyse spatiale de la déclamation, a petit à petit, en intégrant la pensée mathématique grecque, permis d’élaborer une spécificité du musical, discontinu, par rapport à la parole, continue. Comment penser alors les liens et les différences entre notation musicale et ponctuation ?

    Le cas de l’Orient (Chine-Japon) apparaît comme un test, un lieu réactif et opposé à cette réflexion : les Chinois écrivent en effet des images et non des sons ; par ailleurs leur « musique » commence au moment où des hauteurs fixes entrent en jeu, sans que la notion visuelle de « hauteur » soit réellement pertinente.

    L’opposition parole/musique se constitue donc d’une toute autre façon qu’en Occident où les rapports entre ponctuation, accents et musique sont complexes mais liés. Il reste tout de même une passerelle étonnante entre ces deux cultures : rares sont les cultures, dans le monde, qui ont choisir d’écrire la musique, de la rendre visible. Peut-on comprendre cette démarche commune ?

    Peut-on alors, à partir de ce dialogue entre sphères très éloignées, mieux poser la question des relations entre l’image, le sonore et écriture ?

    Notation musicale et ponctuation dans la culture occidentale
    Jacques Dürrenmatt (Toulouse Le Mirail) « Le rapport de la ponctuation à la respiration et à l’intonation dans la tradition occidentale : les limites de cette conception ».
    Isabelle Serça (Toulouse Le Mirail) « Ponctuation et élaboration ou fuite du sens ».
    Violaine Anger (Evry Val d’Essonne) « Ponctuation et notation musicale : quelques hypothèses »

    Notation musicale et ponctuation dans des cultures non-alphabétiques
    François Picard (Paris IV)  « La notation de la ponctuation en Chine ancienne »
    Richard Delrieu (Kyoto) « Ecriture de la parole et musique  dans la culture japonaise»
  • Journée d’étude 12-13 novembre 2009 CEEI-DFK :
    12 novembre Centre allemand d'histoire de l'art, 10 place des Victoires, 75002 Paris, 13 novembre Paris VII.
    Les formes de la notation musicale : mise en voir du Verbe dans les manuscrits latins, hébraïques et grecs, VIII-IXe siècles


    Organisé par le Centre d’Etude de l’Ecriture et de l’Image (Paris VII), le Laboratoire Patrimoines musicaux (Paris IV), le RASM (Recherches Arts, Spectacle, Musique, Evry) et le Deutsches Forum für Kunstgeschichte

    On s’accorde à dater des Carolingiens la naissance de l’écriture du chant en Occident. Nombreux sont les historiens qui se sont s’interrogés sur les causes et sur les conditions politiques, religieuses et bien sûr proprement musicales de cette émergence.
     
    Notre propos est différent : l’écriture musicale est par définition un objet visuel, dont les composantes relèvent d’un mode particulier de fonctionnement des signes, d’un rapport spécifique à l’espace de la page et du manuscrit, mais aussi de conceptions de l’image proprement culturelles. Nous souhaitons, en d’autres termes, questionner la relation qui existe entre les formes de la notation musicale et le statut du visible dans les capacités d’énonciation qu’il entend posséder.

    La comparaison de documents issus des trois traditions (latine, hébraïque et grecque) devrait permettre de mettre au jour des différences significatives.
    Y a-t-il :
    - convergence de dates ?
    - influence ou divergence, et sur quels points ?
    - volonté de donner une « image » du son, d’associer par analogie des images aux sons, ou de trouver des signes conventionnels pour les signifier ?
    Y a-t-il donc iconicité ? dans quelle mesure et, le cas échéant, pourquoi et quels sont les outils formels permettant d’en jouer ?

    Une deuxième série de questions pourrait se poser, étroitement imbriquée à la première qui se demande dans quelle mesure les divergences entre les signes de notation sont dues :
    - aux différences qui existent, au départ, entre ces cantillations ?
    - à des hiérarchisations différentes d’éléments considérés comme essentiels dans les cantillations ?
    - à la différence d’appréhension de ce que l’on pense pouvoir rendre visible, en particulier en ce qui concerne le Verbe de Dieu ?

    Les journées d’étude que nous projetons devrait nous aider à mieux comprendre comment s’articule, dans chacune de ces cultures, le rapport entre l’audible et le visible.

 

 

 

 

 

 


CEEI - http://www.ceei.univ-paris7.fr
 CEEI – CENTRE D'ÉTUDE DE L'ÉCRITURE ET DE L'IMAGE  I  UNIVERSITÉ PARIS DIDEROT - PARIS 7