Anne-Marie Christin
fondatrice et directrice
du Centre d'Étude de l'Écriture et de l'image
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22 mars 1942 - 20 juillet 2014




Anne-Marie Christin, le 3 juillet 2014,
à l'université Paris 7 Denis Diderot

Anne-Marie Christin, Professeur émérite de l’université Paris Diderot Paris 7, fondatrice et directrice du Centre d’étude de l’écriture et de l’image (CEEI), nous a quittés le 20 juillet 2014.

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégée de Lettres classiques, Anne-Marie Christin fait pratiquement toute sa carrière à l’Université Paris 7 qu’elle rejoint en 1970, après un rapide passage à la Sorbonne. Elle y crée en 1974 une composante d’enseignement et de recherche sur le texte et l’image, qui fait aussitôt date. En 1982, elle fonde le Centre d’étude de l’écriture, devenu en 1996 Centre d’étude de l’écriture et de l’image (site internet : http://www.ceei.univ-paris7.fr). Structure unique en France par son interdisciplinarité, aussi bien dans les aires géographiques concernées que dans les disciplines abordées, le CEEI a accueilli jusqu’en 2008 une centaine de spécialistes qui ont collaboré à ses axes de recherche à travers séminaires, colloques ou publications collectives, et de nombreux étudiants (une cinquantaine de doctorats ou thèses et HDR dirigés au cours de sa longue carrière).

Ses recherches personnelles sur les relations entre image et écriture portent d’abord sur le peintre et écrivain Eugène Fromentin, à qui elle consacre sa thèse de doctorat puis plusieurs éditions critiques. Elle aborde ensuite l’étude des relations entre la figure et son support à travers des objets variés, touchant aussi bien à l’illustration qu’aux figures pariétales, à la typographie occidentale qu’au rôle du blanc dans la peinture extrême-orientale. Ses recherches des vingt dernières années sont marquées par quatre publications principales : L’image écrite ou la déraison graphique (Flammarion 1995, réédité en 2001 et 2009) ; Poétique du blanc, vide et intervalle dans la civilisation de l’alphabet (Peeters-Vrin 2000 et Vrin 2010) ; L’invention de la figure (Flammarion, 2011). Un autre volume est en préparation, Par la brèche des nuages : les paravents japonais, à paraître chez Flammarion.

Parallèlement à ses recherches personnelles, Anne-Marie Christin a mis son énergie au service d’enquêtes collectives, qui ont débouché sur une série de publications décisives, contribuant à renouveler en France l’étude des relations entre le texte et l’image : L’Espace et la lettre en 1977, Ecritures, systèmes idéographiques et pratiques expressives et Ecritures II en 1982, Ecritures III en 1988, L'Ecriture du nom propre en 1998, ou encore Histoire de l’écriture de l’idéogramme au multimédia en 2001 (édition augmentée en 2012, traduction en anglais, arabe et en japonais).

L’intérêt de chercheurs du monde entier pour ses travaux lui fait parcourir le globe. Ses travaux ont trouvé une résonance singulière en Asie (elle entretient avec le Japon une relation privilégiée et écrira même un Vues de Kyôto en 1999), en Amérique du Sud et du Nord, mais aussi, singularité remarquable, dans plusieurs domaines disciplinaires généralement séparés : l’anthropologie de l’écriture, la sémiologie de l’image, l’histoire de l’art. Elle organise plusieurs colloques internationaux interdisciplinaires parmi lesquels on retiendra le Forum international d’inscriptions, de calligraphies et d’écritures à la Bibliotheca Alexandrina (24-27 avril 2003, Egypte), les Journées franco-japonaises. La lettre et l’image : nouvelles approches à l’Université Paris 7 (18-19 novembre 2005). Elle codirige à l’Université d’Urbino le colloque De la calligraphie à l’imprimé. Pour une sémiotique de l’idéogramme (11-13 juillet 2005).

Membre de l'Academia Europaea, Visiting Fellow des universités de Kyoto et de Tokyo, membre du conseil d'administration du Centre de calligraphie de la Bibliotheca Alexandrina, Anne-Marie Christin a également été co-fondatrice et vice-présidente de l’Association Internationale pour l’Etude des Rapports entre Texte et Image (IAWIS : the International Association of Word and Image Studies) de 1987 à 1993. Comme membre du Conseil de Direction stratégique de l’Atelier national de recherche typographique (ANRT), elle a participé à sa refondation en 2011. Soucieuse de transmission, elle a récemment participé aux journées organisées par l’Education Nationale pour former les enseignants du secondaire à l’étude des relations texte-image (Quatrième rendez-vous des Lettres : « Les métamorphoses du texte et de l’image à l’heure du numérique – quand la littérature se donne à voir », novembre 2013, BNF).

Elle venait de recevoir, le 3 juillet dernier, dans la salle accueillant depuis peu à l’université Paris Diderot Paris 7 (UFR LAC, salle 779C), la bibliothèque du CEEI, le grade de chevalier de la Légion d’honneur des mains de Roger Chartier, Professeur au Collège de France.
Afin de lui rendre un dernier hommage, les membres du CEEI ont souhaité rendre publics les discours prononcés lors de cette cérémonie par Roger Chartier et Anne-Marie Christin.

Texte mis en ligne le 23 juillet 2014 par les membres du CEEI.

Consulter :

- Discours de remise de la Légion d'honneur à Anne-Marie Christin par Roger Chartier le 3 juillet 2014 à l'université Paris 7 Paris Diderot.
- Discours de réponse d'Anne-Marie Christin.
- Discours de Bernadette Bricout prononcé le 25 juillet 2014 aux Obsèques d'Anne-Marie Christin, professeure émérite à l'université Paris 7 Denis Diderot.

- La fiche membre CEEI d'Anne-Marie Christin.

 


présentation du centre


Le Centre d'étude de l'écriture et de l'image est un centre de recherche interdisciplinaire de l'Université Paris Diderot – Paris7.  Il a bénéficié de plusieurs contrats des ministères de la recherche et de la culture, organisé des colloques internationaux en Europe et au Japon et publié une trentaine d'ouvrages collectifs.

Il associe des enseignants-chercheurs et des chercheurs de diverses origines au sein d’un réseau pluridisciplinaire et pluri-institutionnel.

Historique

Les recherches du CEEI ont leur origine dans une enquête sur les liens du texte et de l’image engagée en 1970 dans l'UFR STD de Paris 7 à l'initiative d'Anne-Marie Christin. D’abord fondées sur l'étude des œuvres littéraires des XIX e-XX e siècles français inspirées ou motivées par la peinture, parmi lesquelles celles d’Eugène Fromentin, peintre et écrivain, occupe une place centrale, ces recherches se sont élargies ensuite à la littérature du XXe siècle et au domaine de l’illustration aux XIXe-XXe siècles.

Parallèlement à ces analyses, qui se poursuivent toujours, nos recherches se sont orientées vers les systèmes d’écriture. Il nous est apparu en effet très tôt que l’on ne pouvait évaluer le rôle de l’image dans la création littéraire sans déterminer au préalable celui qui avait été le sien dans l’invention de l’écriture et dans l’évolution de ses systèmes.

Créé officiellement en 1982 sous l’intitulé « Centre d’étude de l’écriture », le Centre d’étude de l’écriture et de l’image (CEEI) consacre actuellement ses recherches, de nature historique et sémiologique, aux écritures dites « idéographiques » (Mésopotamie, Egypte, Chine et Japon) dans leurs relations avec l’image, aux créations occidentales, littéraires ou plastiques, qui ont cherché à réaliser de façon plus ou moins explicite un « retour aux idéogrammes », à l’image et à ses supports dans la culture européenne de l’imprimé, ainsi qu’aux différentes formes d'intervention - graphique ou textuelle - de la typographie dans la création littéraire contemporaine. Ce domaine vient d'être étendu en 2009 par Violaine Anger aux écritures de la musique.

Problématique

Deux postulats sont à l’origine des recherches du CEEI :

  • L’iconicité de l’écriture
  • La matérialité de l’objet écrit

Iconicité de l'écriture

L'écriture ne reproduit pas la parole, elle la rend visible. L'analyse d'un texte écrit, quel qu'il soit, ne saurait être dissociée de ce qui contribue à en assurer la lisibilité et que notre civilisation de l'alphabet et les théories logocentristes auxquelles elle a conduit, tant dans l'analyse du texte que dans celle de l'image, ont systématiquement ignoré ou occulté.

L'écriture est un produit mixte, né de la combinaison du langage et de l'image. Toutefois, dans cette combinaison, le medium déterminant n'a pas été le langage mais l'image, et le support de l'image a joué un rôle beaucoup plus essentiel que ses figures. La pensée de l'écran a précédé nécessairement celle de l'identification des traces, et c'est elle qui a rendu possible leur mise en réseaux signifiants.

C'est en raison de sa dépendance envers son support que l'idéogramme possède, dans les trois civilisations qui l'ont créé, la même originalité : il est un signe que l'on interroge, un signe susceptible d'assumer des fonctions très différentes - de logogramme, de phonogramme ou de clé - selon le contexte où il apparaît.

L'expérience du Coup de dés tentée par Mallarmé nous prouve que l'alphabet n'a pas rompu avec ces origines iconiques, bien qu'il ait été le premier système capable de s'abstraire de son support et de faire de son lecteur un recenseur de phonèmes. Les «blancs», dit Mallarmé «assument l'importance, frappent d'abord». En affirmant l'efficacité des vides dans la page, il témoigne de la permanence, jusque dans sa forme appauvrie, des données premières de l'écriture.

Matérialité de l'objet écrit

Nous partons du postulat que les formes matérielles produisent du sens. Appliquée à l'écrit, la matérialité relève de la mise en écriture (calligraphie, typographie), de la mise en page, de la mise en texte, de la mise en livre et de l'articulation du texte et de l'image.

À partir de ce cadre proche des travaux de la bibliographie matérielle et de la paléographie, les chercheurs du Centre ont affirmé l'importance du support.

La notion de support elle-même doit être problématisée en termes de champ (Schapiro), d'écran (Christin), d'espaces potentiels. Car s'il existe des supports conçus pour l'écriture (livres, périodiques) d'autres sont détournés, appropriés, délaissés.

Les matériaux déterminent l'expressivité de la trace et son contenu ; l'inscription éphémère n'est pas de même nature interprétative que l'inscription durable. Le jeu des formats définit la relation des objets écrits aux corps - la prise en compte de cette dimension ouvre sur une appréhension anthropologique de l'écrit - le format du livre par exemple sera pensé par rapport à l'enfant. Enfin la situation, dimension oubliée, participe de la matérialité - elle est constitutive du signe écrit - les écritures exposées cachées, défilantes, nomades... relèvent d'une véritable socialisation des inscriptions.L'analyse des valeurs d'iconicité de l'écriture doit permettre l'extension de notre champ des pratiques littéraires de l'écriture aux pratiques communes, «infra-ordinaires». L'analyse des circuits éditoriaux permet d'autre part de mettre en évidence l'importance des représentations du destinataire qui vont commander la mise en place détaillée des dispositifs matériels, graphiques et discursifs. Ainsi le livre d'enfant est issu d'une stratégie éditoriale destinée à répondre aux attentes supposées d'un lectorat particulier, et qu'il doit façonner en retour.

CEEI - http://www.ceei.univ-paris7.fr
 CEEI – CENTRE D'ÉTUDE DE L'ÉCRITURE ET DE L'IMAGE  I  UNIVERSITÉ PARIS DIDEROT - PARIS 7